lundi 26 août 2013

Ebook ou version papier, à vous de choisir !

Elle alluma la télévision et la voix nasillarde du présentateur emplit la pièce. Tout plutôt que le silence… Sur la table, le repas du soir refroidissait. Encore une soirée qui commençait. Verrous tirés à 18 heures, c’était une nuit en plein jour. La voix de la fille d’à côté couvrit le bruit de la télévision. " Qui c’est qu’a des clopes ". Comme si c’était l’heure de s’en préoccuper ! ça allait encore faire toute une histoire. Elle allait brailler à n’en plus finir jusqu’à ce que la surveillante vienne derrière sa porte. De toute façon, ce ne serait pas elle. Prise la main dans le sac, elle dirait que c’est la main de la détenue d’à côté.

- Tu peux pas te taire ! se mit à crier Linda.

Au son de cette voix, Jessica sentit sa peau se glacer. La prison, c’était dur à crever, mais fallait encore qu’elle en bave avec cette garce de Linda qui lui menait des journées d’enfer.

- Ta gueule ! insulta une autre.

Bien envoyé…Son petit plaisir du soir. Entendre ce qu’elle ne pouvait pas dire. Par peur. Pourtant, Linda c’était pas une costaude. Des bras maigres comme des bâtons de réglisse mâchouillés. Une face en biseau aux joues creuses. Des yeux bleus délavés de voir le mal partout, et d’en souhaiter dix fois plus. Une bouche serrée qui ne laisse passer que de l’acide. Et l’acide de Linda, en ce moment, il était pour Jessica. Du coup, plus personne n’osait lui parler de peur de recevoir des éclaboussures. De mensonges en rumeurs, Linda avait transformé le délit de vol de Jessica en maltraitances à enfants. Parfois, attaques de petits vieux. Cela dépendait de son humeur. Rien qui ne tenait la route, mais restait accroché à sa réputation comme à une toile d’araignée. À trente trois ans, Jessica vivait sa plus pénible détention. Et ce n’était pas parti pour s’arranger.

Dans le couloir, la surveillante rôdait. Si la fille d’à côté n’avait pas pris la peine de guetter la matonne, elle allait se faire pincer. Jessica frappa contre un tuyau. Un coup bref lui répondit. Message reçu.

Dans l’assiette transparente, les flageolets s’étaient figés au milieu de leur sauce verdâtre. Du bout de la fourchette, Jessica retourna le morceau de viande, le mit sous son nez et renifla. Il n’avait pas une mauvaise odeur, juste une sale couleur. Faut que je mange, pensa-t-elle. Des trucs déguelasses, j’en ai mangé dehors. La fine bouche, je la faisais pas même les jours de richesse. L’argent dans la dope, et la bouffe ramassée devenait un festin.

Calée contre l’oreiller, les jambes allongées le long de la couverture rugueuse, Jessica essaya de sombrer dans le sommeil. Malheureusement, seule l’angoisse l’engluait dans sa visqueuse mélasse. Sous sa maigre poitrine, elle sentit son cœur bondir d’une telle force que son corps n’était plus que martèlements. Elle n’y échapperait pas. Comme chaque soir, la bataille contre l’anxiété allait la briser un peu plus. " Je vais lâcher du lest " décida t-elle. " Au point où j’en suis, un cachet de plus ou de moins ne me tuera pas ". Sept, elle en était à sept par jour. Qu’est-ce que c’était par rapport à une mixtion dardée dans ses veines trouées ? Fallait passer à huit.

Demain, elle règlerait le problème.

" Bon, Jessica ma fille, huit cachous, en plus de ton traitement de substitution à la drogue, c’est beaucoup ". Mais il ne fallait pas qu’elle crève derrière la porte de cellule. Et c’est ce qui lui pendait au nez si elle ne barrait pas le chemin à cette bête malfaisante qui l’accaparait aux premiers silences. Médicament miracle ! paraît-il. Tant mieux. Jessica n’en pouvait plus de ses crises oppressantes qui la saisissait le soir au mieux, à n’importe quel moment, au pire. 

Jessica serra les minuscules cachets roses. Deux pour voir venir. À prendre en cas d’angoisse.

- Le soir, en même temps que le somnifère, lui avait-on précisé. Avec ça, vous allez faire des rêves de bébé.

C’est curieux la vie, la vision des deux cachets roses sur la table la calmait déjà. Mais il est encore tôt. Dans le couloir, elle imaginait le chariot qui déambulait sur le sol cimenté. Derrière les portes, les filles obéissantes, ou trouillardes, attendaient l’assiette à la main. Et puis quoi encore !

- Tavrier , repas.
- J’arrive, j’arrive, ronchonna Jessica. Y’a pas le feu…

L’assiette sur la table. Le cachet rose à côté. Dommage qu’elle n’avait pas le courage d’affronter ses peurs nocturnes. Ou celles du jour. Parce que la Linda, ne lâchait pas prise. Ce matin, qu’est-ce qu’elle avait trouvé à dire, en plein milieu de la cour, " que Jessica racontait sa vie et celles des autres aux surveillantes, et que elle, Linda, elle allait lui faire la peau si elle continuait ". Une menace pour lui foutre la trouille. Encore qu’avec Linda, allez savoir ? Cette salope avait sorti son mensonge avec un tel aplomb, que les filles bruyantes telles des abeilles dans une ruche avaient ravalé leurs cancaneries. Ce foutu silence, aussi soudain que sinistre, lui avait coupé la respiration. Le silence, Jessica détestait ça comme un tombeau. Alors, pas moyen de se libérer de sa frayeur et de répliquer du tac au tac, de lui clouer le bec au moins une fois à cette salope de Linda. Bien sûr, ce n’était pas vrai. Et les autres filles le savaient. De là à blaguer avec Jessica….fallait pas trop en demander à ces petites jeunes qu’avaient pas fait comme elle des années de prison. Il était loin le temps de la maison d’arrêt d’Avignon. Quelle équipe elles faisaient toutes ! Une ambiance du tonnerre. Faudrait qu’elle se tire de cet endroit, y avait bien des taules plus cool qu’ici. Mais quelle justification pour un transfert ?

En fait l’idée n’est pas bonne et Jessica le savait. Tout ce qu’elle allait y gagner ce serait d’être isolée des autres. Elle se sentait assez seule comme ça, merci.

A ses souvenirs, l’angoisse esquissa un prélude à ses assauts. Cloîtrée pour la nuit… L’oppression était forte, elle redevenait l’unique réalité. Le monde disparaissait. Jessica n’était plus qu’une masse de chairs. Un cercueil avec son corps dedans. à peine si son âme volait au-dessus.

Jessica remplit son verre d’eau d’une main tremblante. Pour une fois, elle n’eut pas le réflexe de bloquer sa respiration afin de ne pas sentir l’odeur d’urine qui montait des toilettes jusqu’à sa bouche. Le liquide glissa dans sa gorge. Le cachet rose effleura les parois de son tube digestif. Elle sentit le médicament la pénétrer et ce contact lui redonna le sentiment d’exister.

" Pour un effet garanti, il faut prendre le somnifère en même temps que le cachet rose ", lui avait-on expliqué.

Voilà dix minutes que Jessica était allongée sur son lit. Les médicaments commençaient à agir. Ses muscles se détendaient. Au creux de sa poitrine, les battements de son cœur ne menaçaient plus. Elle était en paix.

Le pied de la surveillante frôla la porte. Ce bruit vint chercher Jessica au creux de son sommeil. Etait-elle réveillée ? Non... C’était comme si elle flottait. Un rêve certainement… Ou un trip en trop …Voyons, qui lui avait vendu sa dose hier ? Impossible de se souvenir…Essayer de rassembler les images de la veille. Une rue, une maison, un bout de puzzle sur lequel poser l’histoire de sa soirée.

Jessica tenta de remuer dans son lit. Juste un mouvement, pour activer sa cervelle figée contre son crâne. Non…La main alors, un doigt … Son corps n’obéissait plus. La paix qui la berçait quelques secondes auparavant se fissurait. Il y avait un truc qui ne collait pas… Où était-elle ? Et pourquoi ne pouvait-elle pas se souvenir du visage du dealer ? Peut-être n’y en avait-il pas ? Si, il y avait quelqu’un. Une main, un cachet rose. A prendre impérativement le soir, avec le somnifère. Qui parle ? Des yeux derrière une porte. Close. Et puis des grilles. Et le silence, le soir. Prison…Elle était en prison ! Pas d’overdose alors... Tant mieux, elle croyait qu’elle allait crever là. Mais non. Elle était en prison, dormait dans " son " lit. Jessica était détendue grâce au cachet. Dans ce cas, pourquoi sa main ne bougeait t-elle pas ? Pourquoi son corps refusait-t-il d’obéir au besoin impérieux de savoir si elle était vivante ? L’inquiétude à nouveau s’insinuait. Côtoyait le calme qui la rendait sereine malgré la certitude. Parce qu’elle savait…Mais pourquoi ? Par quel tortueux chemin du destin elle avait survécu à l’enfer de la drogue, pour venir mourir dans cette prison.

Dans le couloir, le bruit des pas de la surveillante résonnaient. Jessica tenta de rallier le peu de force qui lui restait. Elle devait appeler…Mais aucun son ne montait de sa gorge. Elle essayait pourtant, encore et encore. Puis résignée, bercée par la plénitude qui l’envahissait, Jessica cessa de lutter contre la mort.




 
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